Notamment depuis 2015, les relations diplomatiques entre le Maroc et la France ont connu des hauts et des bas. Pour le Maroc, que représente la réélection, pour un second mandat, d’Emmanuel Macron en France ?
Sans que l’on ne décèle une quelconque hostilité entre le Maroc et la France, les spécialistes sont unanimes pour dire que le Maroc francophile de Hassan II n’est pas celui de Mohammed VI. L’actuel souverain marocain est beaucoup moins attaché à la Méditerranée et regarde, de plus en plus, de l’autre côté de l’Atlantique, voire vers l’Afrique dans une moindre mesure. En son temps, Hassan II avait annoncé vouloir créer avec Paris « un cadre pour coopérer, car on s’enthousiasme pour les mêmes choses, et on oeuvre pour les mêmes choses ».
Depuis le début des années 1960, de l’eau a coulé sous les ponts de la diplomatie entre les deux pays. Pour le membre de l’Institut Montaigne Hakim El Karoui, « les Français doivent s’interroger sur leur stratégie face aux accords signés entre les Américains, les Israéliens et les Marocains. (…) Il faut un grand mouvement stratégique : la confrontation ou la coopération, mais il n’y a aucune raison qu’il y ait un clash » entre le Maroc et la France.
Le dernier mandat de gauche en France — François Hollande était alors président — avait été l’occasion d’une longue brouille avec le royaume. Depuis, on assiste à un refroidissement continu des relations diplomatiques entre les deux pays. Aujourd’hui, l’éloignement entre Paris et Rabat se traduit surtout aux niveaux social et culturel. La francophonie est de moins en moins essentielle pour le Maroc. Le rapport du British Council Maroc, « Shift to English in Morocco » — comprendre « Se diriger vers l’anglais au Maroc » — a dévoilé qu’une majorité écrasante des jeunes Marocains estimaient que la « Lingua Franca » est beaucoup plus utile que le français.
Toujours au niveau culturel, domaine dans lequel le roi Mohammed VI fait figure de référence pour les populations, le souverain s’est employé durant sa seconde décennie de pouvoir à diversifier la culture marocaine. D’un côté, le retour à une monarchie plus « religieuse » s’est accompagné de son lot d’arabisation, malgré les objectifs politiques de cette stratégie de communication. D’un autre côté, la « langue des élites » dans le pays n’est plus le français. Et là où Hassan II séduisait la presse francophone par sa maîtrise des jeux de mots et son usage fréquent du français, Mohammed VI, lui, est nettement moins francophile que son père.
Sur un plan plus politico-diplomatique, plusieurs polémiques ont secoué les relations entre Paris et Rabat. La mise au grand jour, par des médias français, des détails la fortune de Mohammed VI a été moyennement appréciée par Rabat. Puis, le scandale du « chantage » des journalistes français Eric Laurent et Catherine Graciet, qui doit bientôt aboutir à une décision de la justice française. Ensuite, le roi marocain évite, depuis des années déjà, de partager la scène avec les présidents français. Certaines sorties de Mohammed VI aux côtés de François Hollande ressemblaient à des guet-apens médiatiques, des questions gênantes étant généralement adressées au roi du Maroc.
Une série d’incidents qui ne conviennent clairement pas au souverain marocain qui aimerait bénéficier du même traitement de faveur accordé au trône par les gouvernements français successifs depuis le traité de Lalla Maghnia, avant même la colonisation française.
Dans les relations économiques, un rapport du Trésor français affirme que, depuis 2012, le solde bilatéral entre le Maroc et la France est en déficit. Et pendant les huit dernières années, même si les exportations marocaines vers la France ont quasiment doublé, celles de la France vers le royaume chérifien n’ont progressé que de 20 %.
Sur le Sahara occidental, un dossier vital pour Mohammed VI et ses diplomates, si la France soutient les convoitises marocaines, elle s’est montrée particulièrement passive quant aux positions jugées ambigües de l’Allemagne et de l’Espagne. Si cette hétérogénéité européenne sur le Sahara est de plus en plus en faveur de Rabat, Paris n’a rien fait sur le jugement de la Cour de l’Union européenne (UE). Cette dernière a annulé deux accords entre le Maroc et l’UE sur fond de « caractère séparé et distinct » des territoires marocain et saharien.
« La France est à la fois légaliste et soutien du Maroc sur le Sahara à l’ONU, mais elle ne veut pas se fâcher avec l’Algérie. L’équation est donc impossible », estime l’historien français Pierre Vermeren.
A ces différends s’ajoute une autre brouille, sur le thème de la migration. Rabat s’attendait, sans doute, à ce que la France ne réduise pas le nombre de visas qui lui étaient octroyés au même titre que la Tunisie et l’Algérie. Même si la réduction a moins touché le Maroc que le reste du Maghreb, le ministre marocain des Affaires étrangères Nasser Bourita avait déploré une « punition collective et une décision injustifiée ».
Une dégradation des relations bilatérales donc qui, malgré la bienséance visible, fait craindre le pire à la suite de la réélection d’Emmanuel Macron à la présidence française le 24 avril dernier. La coopération entre le Maroc et la France a, certes, plus souffert sous Hollande que sous Macron, mais elle n’en reste pas moins déficitaire après le quinquennat du « Jupiter » français.
Surtout, alors que monte l’intérêt du trône marocain pour l’Afrique subsaharienne, et alors que la France perd du terrain en Afrique en raison d’une stratégie paternaliste et ratée dans tous les secteurs, les rapports franco-marocains n’ont pas encore connu le pire.
Selon Jeune Afrique, « depuis sa nomination il y a quelques mois, l’ambassadeur du Maroc à Paris, Mohammed Benchaâboun, peine à renouer un contact de haut niveau avec les Français ». En effet, l’ambassadeur marocain a une réputation d’« homme des missions impossibles » dans les milieux diplomatiques. C’est dire que Rabat donne sa juste mesure à l’évolution des relations bilatérales, mais est-ce la même tendance pour Paris ?
Dur à dire. Bien loin est l’époque des hommes d’Etat français expérimentés dans les relations avec le Maroc. En l’occurrence l’ancienne ministre de Jacques Chirac Elisabeth Guigou, ou encore l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin, tous les deux nés au Maroc. Il serait d’autant plus difficile de voir les rapports entre les deux pays revigorés, avec une France qui, justement, n’estime que peu le fait que le Maroc pourrait désormais être le dernier bastion d’influence française en Afrique du Nord.